Avant même la construction de sa célèbre mosquée, Amr Ibn al-As était déjà une figure remarquable dans l'histoire de l'Islam. Son parcours extraordinaire, de commerçant mecquois à conquérant de l'Égypte, illustre parfaitement les transformations sociales et politiques qui ont accompagné l'émergence de la nouvelle religion.
Né vers 573 dans une famille de la tribu Quraych, Amr Ibn al-As grandit dans une Mecque préislamique où le commerce et les traditions ancestrales dictaient la vie quotidienne.
Fils d'un riche marchand, il hérita des talents commerciaux de son père et développa rapidement une réputation d'homme d'affaires astucieux et de diplomate habile. Son éloquence exceptionnelle et son intelligence aiguisée lui valurent une place privilégiée parmi l'élite mecquoise.
Avant l'avènement de l'Islam, Amr voyageait fréquemment entre l'Arabie et l'Abyssinie (l'actuelle Éthiopie), tissant des relations commerciales et diplomatiques qui se révéleraient précieuses dans sa carrière future.
Sa connaissance approfondie des cultures et des langues étrangères, ainsi que son aptitude à négocier, faisaient de lui un intermédiaire prisé dans les affaires internationales des Quraychites.
Initialement opposé au message de Mohammed, Amr Ibn al-As fut pendant des années l'un des plus farouches adversaires de l'Islam. Cependant, après la conquête de La Mecque par les musulmans en 630, il reconsidéra sa position. Sa conversion, survenue alors qu'il revenait d'une mission en Abyssinie, marqua un tournant décisif dans sa vie et dans l'histoire de l'expansion musulmane.
Dès son adhésion à l'Islam, Amr mit ses talents de stratège et de négociateur au service de la nouvelle religion. Le Prophète Mohammed, reconnaissant ses capacités exceptionnelles, lui confia rapidement des missions diplomatiques délicates.
Parmi ces missions figuraient des contacts avec les tribus du nord de l'Arabie et des négociations avec des puissances régionales, où Amr démontra une habileté remarquable à promouvoir les intérêts de la communauté musulmane naissante.
C'est toutefois sous le règne du calife Omar ibn al-Khattab (634-644) qu'Amr Ibn al-As atteignit l'apogée de sa carrière militaire et politique. Chargé de conduire les armées musulmanes vers la Palestine et la Syrie, il participa activement aux victoires décisives contre les forces byzantines à Ajnadayn et Yarmouk entre 634 et 636.
Après ces succès, Amr proposa au calife Omar un plan ambitieux pour conquérir l'Égypte, alors province byzantine. Obtenant l'autorisation du calife, il lança en 639 une expédition avec une armée relativement modeste de 4000 hommes, démontrant ainsi sa confiance dans ses capacités stratégiques. Sa connaissance du terrain et des divisions religieuses et politiques qui fragilisaient l'Égypte byzantine lui permit de mener une campagne militaire brillante.
En moins de trois ans, Amr parvint à s'emparer de cette riche province, scellant définitivement son statut de stratège exceptionnel dans l'histoire de l'Islam. La fondation de la ville de Fustat et la construction de sa mosquée, qui porte aujourd'hui son nom, témoignent de sa vision d'administrateur et illustrent comment ce marchand mecquois devint l'un des plus grands généraux et gouverneurs des premiers temps de l'Islam.
La conquête de l'Égypte par les armées musulmanes au VIIe siècle constitue l'un des événements les plus déterminants de l'histoire méditerranéenne. Cette campagne militaire dirigée par Amr Ibn al-As a non seulement modifié la carte politique de la région, mais a également posé les fondements d'une nouvelle ère culturelle qui culminerait avec la construction de la célèbre mosquée qui porte encore son nom.
Au moment où les armées musulmanes s'approchaient des frontières égyptiennes en 639, l'Égypte byzantine traversait une période de profonde instabilité. L'empereur Héraclius, affaibli par des années de guerre contre les Perses, peinait à maintenir son autorité sur cette riche province.
Plus important encore, le pays était déchiré par des tensions religieuses. La majorité copte de la population égyptienne vivait sous l'oppression de l'administration byzantine qui imposait l'orthodoxie chalcédonienne.
Les Coptes, adeptes du monophysisme, considéraient que le Christ possédait uniquement une nature divine, position jugée hérétique par Constantinople. Cette division théologique avait des conséquences politiques concrètes : taxes discriminatoires, exclusion des postes administratifs et persécutions périodiques.
Cette situation créait un terrain favorable pour les conquérants musulmans, perçus par certains Égyptiens comme des libérateurs potentiels plutôt que comme des envahisseurs.
Avec une armée relativement modeste de 4 000 hommes, Amr Ibn al-As entama sa campagne en attaquant la forteresse de Babylone (aujourd'hui située dans le Vieux Caire). Ce siège, commencé en 640, dura plusieurs mois face à une résistance byzantine acharnée. La forteresse finit par tomber en avril 641, ouvrant aux musulmans la route du Delta.
Après cette victoire décisive, Amr poursuivit sa campagne vers Alexandrie, alors deuxième ville de l'Empire byzantin et centre intellectuel de la Méditerranée orientale. Malgré sa puissante fortification et le soutien naval byzantin, Alexandrie capitula en septembre 642 après quatorze mois de siège.
Cette conquête rapide, achevée en moins de trois ans, témoignait non seulement du talent militaire d'Amr, mais aussi de sa compréhension des divisions locales qu'il sut habilement exploiter.
La politique adoptée par Amr Ibn al-As envers les populations locales, notamment les Coptes, constitue l'aspect le plus remarquable de cette conquête. Plutôt que d'imposer des conversions forcées, il établit un pacte garantissant la protection des chrétiens en échange du paiement d'un impôt spécial, la jizya.
Ce traité reconnaissait officiellement les droits des communautés chrétiennes à pratiquer leur religion et à maintenir leurs institutions. Pour de nombreux Coptes, cette nouvelle administration représentait une amélioration considérable par rapport à l'oppression byzantine qu'ils avaient subie.
Cette politique de tolérance, exceptionnelle pour l'époque, facilita grandement l'intégration de l'Égypte au sein du califat naissant. Elle permit également à Amr de concentrer ses efforts sur la construction de Fustat, nouvelle capitale administrative dont la mosquée d'Amr Ibn al-As deviendrait le cœur spirituel et symbolique.
Après la conquête de l'Égypte, la question d'établir un nouveau centre administratif s'imposa naturellement à Amr Ibn al-As. Le choix de l'emplacement pour cette première capitale musulmane en terre égyptienne allait façonner l'avenir de toute la région et poser les fondements de ce qui deviendrait plus tard Le Caire.
Malgré sa splendeur et son importance stratégique, Alexandrie ne fut pas retenue comme capitale de l'Égypte musulmane. Plusieurs raisons expliquent cette décision surprenante. D'abord, située à l'extrémité nord du pays, Alexandrie était trop éloignée du reste de l'Égypte pour permettre une administration efficace. En outre, sa population majoritairement grecque et copte représentait un risque politique pour les nouveaux dirigeants musulmans.
Par ailleurs, le calife Omar ibn al-Khattab avait expressément demandé qu'aucun obstacle naturel, comme un fleuve, ne sépare la nouvelle capitale du reste du califat. Cette exigence visait à maintenir des communications rapides entre l'Égypte et Médine, siège du pouvoir central. Ainsi, Amr se tourna vers un site plus central, près de l'ancienne forteresse byzantine de Babylone.
Une légende populaire raconte qu'après la chute de Babylone, Amr fit dresser sa tente de commandement pendant qu'il poursuivait sa campagne vers Alexandrie. À son retour, il découvrit qu'une colombe avait niché au sommet de sa tente. Ne voulant pas déranger l'oiseau, il ordonna de laisser la tente en place et décida d'établir la ville nouvelle précisément à cet endroit.
Bien que pittoresque, cette histoire illustre surtout l'importance symbolique accordée au site. Le nom même de Fustat, qui signifie "tente" en arabe, commémore cet épisode. L'emplacement choisi offrait également des avantages pratiques considérables : proximité du Nil pour l'approvisionnement en eau, position défensive avantageuse près des ruines de Babylone, et situation centrale facilitant le contrôle du territoire égyptien.
Dès sa fondation en 642, Fustat s'organisa selon un modèle qui deviendrait caractéristique des premières villes islamiques. Au centre de cette organisation se trouvait la mosquée d'Amr Ibn al-As, premier édifice construit dans la nouvelle capitale et symbole de l'autorité spirituelle et politique des conquérants.
Autour de ce point focal s'articulaient les autres composantes essentielles : le palais du gouverneur (dar al-imara), situé à proximité immédiate de la mosquée, et les quartiers résidentiels organisés selon une logique tribale. Chaque tribu ou clan arabe reçut un secteur spécifique où s'installer, créant ainsi une mosaïque sociale reflétant la composition de l'armée conquérante.
Cette organisation spatiale témoignait du rôle central de la mosquée, non seulement comme lieu de prière, mais également comme centre administratif, judiciaire et éducatif de la communauté musulmane naissante en Égypte.
Édifiée en 642, la mosquée d'Amr Ibn al-As incarne l'évolution architecturale de l'islam en Égypte à travers ses multiples transformations. Son histoire physique, marquée par d'innombrables reconstructions, témoigne de la résilience et de l'importance continue de ce lieu sacré.
La structure initiale de la mosquée se caractérisait par une simplicité remarquable. De forme rectangulaire, elle mesurait environ 29 mètres sur 15 (soit 30 coudées de largeur sur 50 de longueur). Les matériaux utilisés reflétaient les ressources disponibles à l'époque : des murs en briques de terre crue, des colonnes faites de simples troncs de palmiers et un toit constitué de feuilles de palmier. Le sol, dépourvu d'ornements, était recouvert de gravier. Cette sobriété architecturale illustrait parfaitement l'austérité des premiers temps de l'islam, où la fonction primait sur l'esthétique.
Dès 672-673, sous l'administration du gouverneur Maslamah Ibn Mukhallad al-Ansâri, la mosquée connut sa première extension significative. Sa superficie fut doublée et quatre minarets furent ajoutés aux angles du bâtiment. Quelques années plus tard, en 698, ʿAbd al-ʿAzīz ibn Marwān renforça la structure et introduisit un mihrab concave, innovation inspirée de celui présent dans la mosquée de Médine.
Les transformations les plus radicales survinrent pendant la période abbasside. En 827, Abdullah Ibn Taher remplaça les colonnes en bois par des piliers en marbre et en pierre. Sous le calife Al-Ma'mūn, l'édifice atteignit des dimensions impressionnantes de 120 mètres sur 112.
Par ailleurs, la mosquée subit plusieurs destructions majeures : incendiée en 1169 lors de la destruction délibérée de Fustat, elle fut reconstruite par Saladin en 1179. Un séisme en 1302 endommagea considérablement la structure, nécessitant d'importantes restaurations. Des travaux supplémentaires furent menés en 1796 par Mourad Bey, puis en 1845, et la dernière reconstruction majeure date de 1875.
Aujourd'hui, pratiquement rien ne subsiste de l'édifice d'origine. Néanmoins, quelques éléments témoignent encore des phases anciennes de construction : certaines sculptures sur bois au niveau des architraves datent du IXe siècle et peuvent être observées le long du mur sud. Les murs nord et ouest conservent des baies du XIVe siècle garnies de moucharabiehs.
La mosquée actuelle, avec sa cour (sahn) et ses quatre portiques (riwaq), intègre environ 150 colonnes en marbre blanc qui proviennent d'édifices antiques. Cet assemblage hétéroclite illustre parfaitement comment, malgré les nombreuses reconstructions, la mosquée d'Amr Ibn al-As a préservé son importance spirituelle à travers les siècles.
Depuis sa fondation, la mosquée d'Amr Ibn al-As a toujours été bien plus qu'un simple lieu de culte. En effet, cet édifice historique a joué un rôle central dans le développement de la société musulmane égyptienne à travers ses fonctions multiples.
Dès ses premiers jours, la mosquée s'est imposée comme un véritable centre intellectuel. Elle a accueilli des cercles d'enseignement où le Coran et le fiqh (jurisprudence islamique) étaient étudiés avec assiduité. Cette fonction pionnière en fit l'ancêtre des mosquées-écoles, devenant ainsi un modèle pour de nombreuses constructions similaires au cours des siècles suivants.
Avant même l'établissement d'Al-Azhar, la mosquée servait déjà de centre éducatif où se côtoyaient savants et étudiants. Sa bibliothèque, quoique moins imposante aujourd'hui, a longtemps été un sanctuaire du savoir, préservant manuscrits rares et textes anciens. Le nombre d'ateliers d'apprentissage s'élevait à 110, et les emplacements réservés à l'enseignement étaient appelés "zawiyas" (coins).
Parallèlement à sa vocation spirituelle, la mosquée endossait des responsabilités administratives considérables. Elle fonctionnait notamment comme centre névralgique pour la collecte fiscale et l'établissement des verdicts judiciaires. Ces fonctions en faisaient un véritable pilier de l'organisation sociale et politique de la communauté musulmane naissante.
Par ailleurs, elle jouait aussi le rôle de tribunal où se réglaient les conflits religieux et civils. À certaines périodes, elle servait également de Maison du trésor, consolidant ainsi son importance dans l'appareil administratif de l'État.
C'est particulièrement durant le mois sacré de Ramadan que la mosquée révèle toute son importance sociale. Chaque année, lors de Laylat al-Qadr (la Nuit du Destin), elle accueille plus d'un million de fidèles, témoignant de son rayonnement spirituel ininterrompu.
Pendant les dix derniers jours du Ramadan, de nombreux croyants y entrent en retraite spirituelle (i'tikaf). Les prières spéciales de Tarawih y sont organisées, rassemblant hommes et femmes dès le premier jour du mois sacré.
Aujourd'hui encore, la mosquée d'Amr Ibn al-As occupe une place centrale dans le cœur des Égyptiens. Elle demeure un lieu vivant où la foi, l'apprentissage et la solidarité continuent de s'épanouir, perpétuant ainsi l'héritage de celui qui apporta l'islam sur les rives du Nil.
La mosquée d'Amr Ibn al-As demeure aujourd'hui un pilier incontournable du patrimoine islamique égyptien. Malgré les siècles écoulés depuis sa fondation, ce monument conserve une place privilégiée dans l'identité religieuse et culturelle du Caire.
En effet, cette mosquée incarne la continuité historique de la présence musulmane en Égypte. Témoin silencieux de quatorze siècles d'histoire, elle représente le lien tangible entre l'époque de la conquête et l'Égypte contemporaine. Chaque pierre de l'édifice actuel, bien que maintes fois remaniée, raconte l'évolution de la spiritualité islamique sur le sol africain.
Par ailleurs, son influence s'étend bien au-delà de son rôle religieux. Centre d'enseignement traditionnel, elle perpétue les méthodes de transmission du savoir islamique qui ont façonné des générations d'érudits égyptiens. Les cercles d'étude qui s'y tiennent régulièrement maintiennent vivante cette tradition séculaire.
Néanmoins, c'est surtout pendant les célébrations religieuses que son statut unique se manifeste pleinement. La ferveur populaire qui l'anime durant les grandes fêtes islamiques témoigne de son importance inaltérée dans la vie spirituelle égyptienne.
Un héritage vivant
Ainsi, la mosquée d'Amr Ibn al-As n'est pas un simple vestige archéologique. Elle demeure un organisme vivant où la foi, l'histoire et la culture s'entrelacent quotidiennement, faisant d'elle le véritable cœur battant du Caire islamique.
Q1. Quelle est l'importance historique de la mosquée d'Amr Ibn al-As ?
La mosquée d'Amr Ibn al-As est le premier édifice islamique construit en Afrique en 642. Elle marque le début de la présence musulmane en Égypte et reste un symbole important de l'histoire islamique du continent.
Q2. Comment la mosquée a-t-elle évolué au fil du temps ?
Initialement modeste, la mosquée a connu de nombreuses transformations. Elle a été agrandie, reconstruite et restaurée à plusieurs reprises au cours des siècles, notamment après des incendies et des tremblements de terre. Aujourd'hui, peu d'éléments de la structure originale subsistent.
Q3. Quel rôle la mosquée a-t-elle joué au-delà de sa fonction religieuse ?
Au-delà d'être un lieu de culte, la mosquée a servi de centre administratif, judiciaire et éducatif pour la communauté musulmane. Elle a accueilli des cercles d'enseignement, une bibliothèque et a même fonctionné comme un tribunal à certaines périodes.
Q4. Pourquoi la mosquée est-elle particulièrement importante pendant le Ramadan ?
Pendant le Ramadan, la mosquée accueille plus d'un million de fidèles lors de la Nuit du Destin. Elle est également un lieu de retraite spirituelle et de prières spéciales, renforçant son rôle central dans la vie spirituelle des musulmans égyptiens.
Q5. Comment la mosquée d'Amr Ibn al-As reste-t-elle pertinente aujourd'hui ?
Malgré les siècles écoulés, la mosquée demeure un pilier du patrimoine islamique égyptien. Elle incarne la continuité historique de l'islam en Égypte, maintient des traditions d'enseignement et reste un lieu vivant de foi et de culture, faisant d'elle le cœur du Caire islamique.